La FAPE demande à surseoir au démarrage des travaux de la marina de Tevaitoa
Il était une fois un maire qui voulait faire « sa » marina dans un district de Raiatea.
Recevoir plus de 100 voiliers à quai, ne serait-ce pas merveilleusement moderne pour le village ? Des débouchés pour des services, commerces, produits agricoles, des emplois … ?
Le marché existe-t-il, les voiliers viendront-ils s’y amarrer en si grand nombre ? On l’ignore, mais le besoin de « désengorger les marinas de Uturoa (100 places) et de Apoiti (80 places), en « concertation avec les acteurs professionnels du tourisme », est mis en avant.
A supposer qu’il y ait effectivement un besoin sur Raiatea, pourquoi construire une marina précisément à un endroit où le platier corallien est encore vivant, alors qu’il y a des zones ailleurs sur Raiatea où le récif frangeant a déjà été mis à mal par des extractions de corail successives ?
Ce projet n’est d’ailleurs pas prévu par le plan d’aménagement du Pays d’infrastructures de plaisance aux Iles Sous le Vent.
Il s’agit bien d’une initiative purement communale soutenue apparamment par le Ministère de l’Equipement.
Quid de la concertation avec la population locale de 1826 habitants ? Silence radio…
En revanche, on sait qu’il faudra faire un remblai de 50 000 m3, creuser un bassin de 90 000 m3 sur un platier corallien et construire deux digues de protection en béton, l’une de 350m et l’autre de 115m, détruisant ainsi l’écosystème naturel sur une énorme superficie du lagon.
Superficie totale du lagon impacté par les infrastructures, les mouvements de bateaux et donc la zone de privation pour les habitants : environ 100 000 m2.
Qu’en dit la population ? Une association s’est constituée, une pétition à l'intention du maire a circulé (1084 signatures à ce jour).
L’association tentent désespérément des actions au Tribunal administratif, à coups de référés et de dépenses couteuses pour les deux parties, l’une (l’association) comptant sur de maigres ressources et l’autre (le Pays) sur nos impôts.
L’objectif ? Contester l’autorisation de travaux et demander la suspension pour notamment une grave erreur de fait à la base de la décision d’autorisation, à savoir une étude d’impact insuffisante et quasi-mensongère pour la partie lagon.
A l’arrivée des premiers engins, une chaîne humaine s’est positionnée à l’entrée du site, ce qui a permis un report temporaire des travaux…jusqu’à quand ?
Qu’en dit le gouvernement du Pays ? Mis à part le ministère de l’Equipement qui a émis la Déclaration d’Utilité Publique et autorisé les travaux, les autres ministères notamment celui de l’Environnement et celui du Tourisme restent muets pour l’instant.
Qu’en dit l’Etat ? Il soutient et finance le projet à hauteur de 4 millions d’euros (500 millions de FCP).
Il est curieux de voir qu’au même moment, l’Etat, via son ministère de l’écologie, a lancé un appel à projets totalisant 40 000 euros (50 millions de FCP) pour tout l’outre-mer, pour la préservation des récifs coralliens. En revanche, il investit dix fois plus dans une marina qui va détruire tout un platier corallien.
L’Etude d’Impact officielle sur l’Environnement (EIE)
Elle s’intéresse beaucoup aux risques et nuisances pendant la période de travaux et préconise certaines précautions.
Peu de choses sur l’impact général après travaux sur le lagon, sa bonne santé et son usage économique et social par la population locale, dans le périmètre et au-delà du périmètre, puisqu’il y aura des modifications substantielles dans les massifs récifaux situés à proximité.
Elle énonce quelques remarques timides :
- le champ de vision sera irrémédiablement modifié, l’impact résiduel paysager sera significatif en raison de la hauteur des digues (1,60 m au-dessus de l’eau) et la taille de la structure (plus de 100 places d’accueil).
-le platier semble déjà affecté par l’embouchure de la rivière
- le plateau corallien ou récif frangeant étant recouvert d’une couche sablo-vaseuse, les sédiments seront mis en suspension, occasionnant une turbidité et une disparition de luminosité « ce qui est le principal facteur générant la mort des coraux et des espèces » (dixit l’EIE ).
Elle conclut cependant par une affirmation claire : « La zone du lagon devant accueillir le projet ne présente pas d’intérêt particulier »
Il est évident qu’aucune étude sérieuse sur l’état du lagon et aucun inventaire n’ont été réalisés tant au niveau des espèces (corail compris) qu’au niveau des usages par la population locale et les pêcheurs.
L’Etude-inventaire du milieu marin
Devant une telle légèreté et une insuffisance patente, l’association « A paruru ia Tevaitoa » a fait réaliser à ses frais une étude du lagon par deux cabinets scientifiques, dont un expert en biologie marine, Moana Environnement et Coral Reef Consulting.
Il apporte des conclusions en contradiction avec les affirmations de l’EIE officielle :
1) Le corail est bien vivant sur cette zone et fait office de nurserie pour plusieurs espèces dont poissons, bénitiers, crabes, squilles, oursins...
2) Cette partie du lagon comporte des espèces menacées et protégées par le code de l’environnement (o’ota ou moules géantes,….)
3) C’est une zone côtière d’importance économique et sociale pour le village (« garde manger » et « gagne pain » grâce à la pêche en particulier)
4 ) Le projet aura des impacts aussi sur les massifs coralliens proches…
Des photos prises sur site:
Zone du platier frangeant:
Zone du massif à proximité:
Les propositions alternatives
L’association des habitants « A paruru ia Tevaitoa », soucieuse de défendre l’environnement naturel de la baie de Uparu, du littoral et des vallées de Tevaitoa, est membre de la fédération Te Ora Naho.
Elle propose de déplacer le projet dans une autre zone proche et déjà dégradée par des extractions de corail .
En effet, le Pays et la Commune de Tumaraa disposent d'un terrain sis à Vaiaau au lieu- dit Vaihuti ou domaine "Arnaud" , domaine en face duquel la direction de l'Equipement a déjà procédé à des extractions de corail.
Elle propose également un projet alternatif sur le site: celui d’une Zone de Pêche Règlementée –Rahui afin de préserver l’écosystème existant et de l’enrichir pour l’usage bénéfique de tous.
La fédération soutient pleinement les actions de l’association et demande de sursoir en urgence au démarrage des travaux d’aménagement dont les conséquences seront irréversibles, afin que toutes les parties puissent prendre calmement en compte tous les tenants et aboutissants et en particulier ce premier inventaire du lagon réalisé.
A minima, un délai de réflexion et d'échange s’impose pour tous.
Trop de dégâts ont déjà été commis dans nos îles du fait d’initiatives prises à partir de bonnes intentions souvent, mais parfois à tort et à travers, et pour un développement dont le type est aujourd’hui largement remis en question par de nouveaux modèles de société plus durables.